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Vers Le Phare (18)

12 Juillet 2018 , Rédigé par Asoliloque Publié dans #verslephare, #écriture

épisode 17

 

Vers Le Phare (18)

 

 

Quelqu'un tape à la porte des chiottes, estimant que leur rôle n'est pas d'abriter une gourde plantée devant un mur de graffitis à se remémorer son projet d'orientation. J'espère que ce n'est pas Amandine, il y a plus glamour que de se faire tirer des cabinets.

 

Je déverrouille et sors l'air de rien, échange un regard rapide avec une étudiante que je ne connais pas, visiblement assez engagée sur le chemin du coma éthylique pour ne pas me faire de remarque quant à ma durée d'occupation.

 

Je reviens dans la salle principale, Amandine patiente sagement, un verre rempli ras la gueule dans chaque main.

 

- Prête à retourner affronter l'élite de la nation ?

- Rappelle-moi pourquoi on doit monter les voir ?

- Pour faire avancer l'histoire. Je ne vais pas apprendre ça à une écrivaine.

- Si tu veux mon avis, ce scénario est poussif.

- Au moins, personne n'ira nous reprocher d'avoir intégré un élément absurde venu de nulle part pour dynamiser artificiellement le récit. Monter un escalier, reprendre le train en marche comme si de rien n'était, se plaindre, continuer à boire. Nous sommes les inventrices du naturalisme alcoolique. Ou peut-être des héritières officieuses d'Eugène O'Neill.

- Connais pas.

- Le père d'Oona Chaplin, qui est la mère de Géraldine Chaplin. Auteur très très chiant.

- Sympa pour nous.

- Il nous faudra dépoussiérer le genre pour le rendre plus en phase avec notre époque, nous libérer du carcan des anciens modèles, établir les points qui garantissent la spécificité de notre mouvement, le tout en picolant sans arrêt. On a du pain sur la planche.

 

Voilà, Amandine bascule. Cela se voit moins à son discours emphatique qu'à son corps qui semble se déployer, retrouver une posture de scène, préparé à soutenir les centaines d'yeux du public braqués sur lui. On dirait qu'elle vient de revêtir une armure brillante. Mon phare éclaire de nouveau à des kilomètres.

C'est l'injustice de l'alcool : il exalte les gens jeunes et beaux, il fait plonger tous les autres.

 

En remontant l'escalier, nous croisons Sonia et Alexis.

 

- Ah vous êtes là, y'a William qui vous cherche partout.

- Qu'est-ce qu'on a fait pour mériter ça ?

- Il tourne un documentaire très nul et veut interviewer tout le monde. On a pas eu le cœur de refuser mais on a déjà failli mourir d'ennui lors de notre passage, hors de question d'assister à celui des autres. On va cloper un coup en attendant.

- En vrai, moi, j'ai arrêté de fumer depuis trois semaines, mais il est pas censé le savoir, précise Alexis.

- Je vous conseille de quand même le faire, vous vous rappelez en début d'année quand il a bassiné la promo avec son projet de caméras abandonnées ?

- J'ai déjà évacué ça de ma mémoire.

- Pas moi. J'ai dit que je m'en battais les ovaires, il est revenu à la charge quatre ou cinq fois en trouvant de nouveaux arguments pour me culpabiliser. Gnagna cohésion de groupe, gnagna entraide étudiante, gnagna j'ai besoin de ta vision à toi, pire qu'un témoin de Jéhovah.

- En résumé... bon courage.

 

Et ils nous passent devant, Sonia me posant une main sur l'épaule en guise de consolation, ce qui en l'état apparaît presque comme une raillerie. Amandine se tourne vers moi.

 

- Qu'est-ce qu'on va faire ?

- Y aller, je suppose ?

- Je suis soit trop ivre soit pas assez pour me coltiner les délires lévi-straussiens de l'autre con. Tu peux pas leur dire que je suis malade, que j'ai la malaria et que je risque de contaminer tout le monde ?

- C'est pas contagieux, la malaria. Sauf si tu prévois de faire une distribution de seringues remplies de ton sang autour de la table.

- J'en sais rien, moi, Ebola ?

- Ebola ? Rien que ça ?

- Trouve quelque chose, c'est toi qui as l'imagination d'inventer des histoires, sors-nous de là, je t'en prie.

- Si tu as un peu lu ce que j'écris, tu sais que je n'ai aucune imagination, c'est bien le souci. Et à ce compte-là, tu es actrice, tu dois pouvoir improviser quelque chose.

- On peut ne jamais remonter l'escalier...

- … et laisser toutes nos affaires en haut pour la nuit. Super plan.

- Ou alors on dit juste non et William respecte notre absence de consentement ?

- Si seulement les herpès savaient ce qu'est le consentement...

- Tu ne m'aides pas beaucoup, là !

 

Avant de répondre, je la déleste déjà d'un verre, car je sens qu'il va y avoir de la casse.

 

- Tu voulais que l'histoire avance, eh bien nous y sommes. Nous n'aurons que plus de raisons de picoler ensuite.

- On ne peut pas toujours utiliser l'argument de l'alcool.

- Je vais me gêner.

 

J'avale une bonne gorgée de mon nouveau gin, il m'en coule sur le menton parce qu'on a la classe ou on ne l'a pas, et je prends la tête de l'ascension. J'ignore si c'est pour impressionner Amandine ou parce que je n'en ai plus rien à foutre, mais je ne donnerai pas à William et ses plans foireux l'opportunité de bousiller ma soirée.

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