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Journal de Sisyphe (51)

20 Octobre 2013 , Rédigé par Asoliloque Publié dans #écriture, #journal, #sisyphe

Lundi

 

Si l'appel que je reçois aujourd'hui n'est pas aussi dramatique que celui m'annonçant l'hospitalisation d'Anna (toute nouvelle n'étant pas reliée à Anna est par définition assez peu dramatique dans la mesure où son importance est toute relative), elle n'en est pas moins déplaisante. C'est mon rédacteur en chef qui veut me parler de toute urgence. Je crois me douter de la raison de son courroux. J'avais pris un congé jusqu'à mercredi et l'accident d'Anna m'a fait manquer à mes obligations.

 

Une fois dans le bureau du grand chef (que j'imagine assez mal avec une coiffe amérindienne et un calumet), je sens que l'humeur n'est pas à la plaisanterie.

- Où étiez-vous, ces derniers jours ?

Passer du mec qui me tutoie pendant les réunions à un flic qui demande un alibi, ça surprend, et surtout, ça inquiète.

- A l'hôpital.

- Ah bon. Vous n'avez pas l'air malade.

- Mon amie a eu un accident, j'étais avec elle.

- Votre amie ?

- Oui.

- Votre femme ?

- Non. Nous ne sommes pas mariés. Qu'est-ce que ça change ?

- Ça change que si ce n'est pas votre femme, vous n'êtes pas en mesure de justifier votre absence.

- Pardon ?

- On vous autorise à déposer des congés exceptionnels en cas de problème familial ou avec le conjoint marié. Votre amie ne rentre donc pas dans ce régime.

Il avait visiblement préparé son speech et débouche son stylo avec le contentement propre aux gens fiers d'enfin asseoir leur autorité après des années d'échec.

- Qu'est-ce que vous venez parler de régime ? Anna était entre la vie et la mort !

- Je suis désolé. Il y a des règles. Je vais être obligé de mettre fin à votre contrat.

 

Il y a des règles. Sac à merde.

 

Je suppose qu'il y a également des règles qui interdisent de briser les portes vitrées. C'est cependant ce qu'il arrive parfois quand il nous prend soudainement l'envie de les claquer un peu fort.

 

 

Mardi

 

Je suis le seul au courant pour l'accident d'Anna. Seule Diane lui a laissé un message durant son hospitalisation sans savoir où elle était. Anna lui a répondu plus tard sans aborder les véritables raisons de son silence. Je pense qu'elle a la flemme de supporter les mines effarées de ses amies, à qui elle devra dire « mais c'est bon, tout va bien maintenant ». Il y a quelque chose d'assez ridicule à prévenir quelqu'un et lui dire : « alors, j'ai eu un accident, j'ai fait deux jours de coma, je me suis réveillée, je suis repartie, voilà, fini. » Autant s'abstenir.

J'aime aussi me dire que c'est un événement qu'elle souhaite garder pour nous, comme si c'était un nouvel épisode de nos crises d'angoisse, un moment où l'on se tient mutuellement, hors du monde et sans les autres. Un espace et un temps d'intimité à préserver.

 

 

Mercredi

 

- Comment tu as fait pour la convaincre que tu n'étais pas un gros taré ?

- Je crois qu'elle a intégré cette donnée depuis quelques temps et qu'elle a choisi de faire avec.

- Profites-en, alors.

- J'y compte bien.

- Tu sais, j'ai un peu réfléchi pendant que tu déprimais. Il se trouve que je connais une éditrice par le biais de mon boulot. En fait, ironiquement, c'est l'autre con qui me l'a présentée. Ils se sont rencontrés au lycée, un truc du genre. Je lui ai dit que tu avais fini ton livre, elle est intéressée. En ce moment, ils recherchent des nouveaux auteurs. Elle jugera ton bouquin comme les autres manuscrits, mais c'est peut-être pas plus mal si je lui donne directement. Qu'est-ce que tu en dis ?

- J'en dis que ce livre a déjà failli faire bien trop de dégâts. Il est temps que je l'envoie voir du pays. Et advienne que pourra.

 

C'est ainsi que je remets à Euclide mon enfant de papier, à qui, au moins, il n'aura pas à changer les couches.

 

  

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