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Chroniques du Corona - Jours 15 & 16

1 Avril 2020 , Rédigé par Asoliloque Publié dans #chronique

Chroniques du Corona - Jours 15 & 16

 

 

Cher Journal,

 

Le confinement, c'est comme l'alcool : il recentre à l'essentiel.

 

Il fait inconsciemment le tri entre les personnes pour donner l'envie impérieuse de passer du temps avec certaines et de laisser les autres continuer leur chemin dans leur coin.

 

On a le besoin soudain de recontacter des êtres précieux qu'on avait laissé vivre, on s'était même un peu fait à l'idée qu'on les avait ratés pour de bon, que la fenêtre pour les retrouver s'était définitivement fermée. On en a passé des heures à hésiter – rien de pire que de revenir et de constater qu'il n'y a plus de place pour nous, que les souvenirs ont été débarrassés comme on refait une chambre après le départ d'un enfant.

 

On a craqué, la situation nous ayant fait basculer dans une urgence paradoxale : tout semble aller au ralenti mais le pire pourrait arriver d'un moment à l'autre. Parfois, avant même qu'on ait pris la décision, certaines personnes ont fait le pas pour ramener leur grâce dans notre vie. Leur beauté et leur lumière, dont on n'avait plus que la projection nostalgique, découpée par les ventaux d'une persienne.

 

Les retrouvailles sont timides, parce qu'on connaît la musique : on a passé plus de temps à se fuir qu'à se rejoindre, pourquoi l'angoisse de l'ennui et de la solitude changerait les règles ?

 

Mais c'est une timidité joyeuse, en accord avec la saison, en accord avec l'imprévisibilité de la période. Quand on sort de l'hiver, la délicate tiédeur suffit à réchauffer.

 

Et puis il y a ces personnes qui étaient déjà là avant, parfois par intermittence à cause de la distance géographique, qu'on voit étonnamment plus maintenant depuis qu'on s'abreuve d'apéros webcamisés sous lumières tamisées.

 

Le monde s'effondre peut-être mais les conversations ne s'interrompent pas. Nous déroulons une pelote de laine, un fil d'Ariane dont le but n'est pas de sortir du labyrinthe mais au contraire de s'y perdre sans fin, au hasard des sujets. On n'a jamais été aussi proches que depuis que nous sommes loin. L'alcool devient vite secondaire, ou alors seulement pour hydrater une bouche plus habituée à sortir autant de mots à la minute.

 

C'est au cœur de ces moments qu'on se sent fier de les avoir gardés auprès de soi depuis si longtemps, de l'avoir gardée auprès de soi depuis si longtemps, quand tant d'autres ont pris la tangente, sans qu'on sache bien à qui la faute. Nous n'avions sans doute plus rien à nous dire.

 

C'est ce qui fait la différence : là, nous savons que nous pourrions enchaîner les nuits à détruire le monde et le refaire à notre convenance, pour qu'il soit un peu plus supportable. C'est un partage de grande valeur, qui sera un soutien de poids pour les semaines à venir.

 

 

Enfin, il y a ceux qui partent définitivement. On ne les connaissait pas personnellement, mais on les avait écoutés des années auparavant pendant de longues heures. Hier, Pierre Bénichou, éternel vieux grincheux, parfois très con mais assurément faux réac, et surtout génie de l'improvisation et des histoires sans intérêt à hurler de rire, roi de la répartie radiophonique, ne s'est pas réveillé. Le virus n'y est pour rien, et en cette période où les corps anonymes tombent les uns après les autres, il y aurait sans doute un peu d'indécence à s'attarder sur une vague célébrité partie dans son lit.

 

Mais notre gorge s'est serrée quelques temps, malgré tout. Et on a ressenti le besoin de retourner l'écouter, lui qui n'aimait pas les mardis, et qui a été rattrapé par un mardi. Lui qui ironisait sur sa mort quelques jours avant qu'elle ne vienne le cueillir.

 

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