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Hors-champ (35) : Les Petits pédestres

13 Octobre 2014 , Rédigé par Asoliloque Publié dans #écriture, #hors-champ, #nadine shah, #runaway

 

Les Petits pédestres

 

 

- En fait, je crois que je hais la nature. Elle me dégoûte. Les animaux, les plantes, les montagnes, la terre me dégoûtent. Ses règles immuables, ses cycles, son ennui. Tout a la même valeur, rien n'a de valeur, il n'y a ni morale, ni but, ni émotions, rien que le temps qui coule interminablement dans l'indifférence la plus complète. Je ne vois pas pourquoi j'accepterais la nature dans la mesure où elle ne comprend pas à quel point la mort est insupportable, où elle ne comprend pas qu'on ne se remet jamais du délitement. Pour elle, tout est éternel recommencement, pas pour nous, pas pour moi, quand je vais crever, je me fiche que des fleurs poussent sur mes cendres, je les hais aussi, ces fleurs. Ces efforts, cette bataille interminable contre les éléments, cette maîtrise de rien, cette attente de rien, cette récompense de rien sinon la survie comme une loque, comme une bête. Elle se fout bien de l'amour, des espoirs, de la peur et de la dépression, de la mélancolie comme des souvenirs, elle est impitoyablement là, sans projets.

Ceux qui veulent retourner à la nature sont des fous, ils préfèrent l'absence de choix au mauvais choix, ils préfèrent assumer leur faiblesse, leur petitesse, le fait qu'à l'échelle de l'univers, ils ne sont rien mais c'est très bien comme ça. L'idée de disparaître un jour les apaise plutôt que les révolte, ils font corps avec ce qui les tuera. Syndrome de Stockholm imbécile qui les pousse à aimer toutes ces multiples agressions, le soleil, la pluie, le vent, le froid contre lesquelles on ne peut rien sinon courber l'échine, ils y voient un moyen de calmer notre arrogance.

Je la veux l'arrogance, je veux être différente, plus grande que le silence de la nuit, je ne reconnaîtrai jamais la supériorité des éléments, je ne leur dois aucun respect car ils ne savent pas ce que c'est et n'en ont pas besoin. Je suis une humaine qui déploie fièrement sa médiocrité, ses manques et ses aigreurs, j'emmerde la plénitude consistant à glisser sur les douleurs. Ce qui ne tue pas ne rend jamais plus fort, ça te tuera la prochaine fois. La nature ne t'offre rien en échange de tes efforts, c'est toi qui lui extirpes en te tuant toi-même à la tâche. Lui cirer les pompes ne te fera pas gagner, elle te survivra et tu auras passé tout ton temps à essayer de te convertir à une vie de renoncement.

Je ne renoncerai pas, j'en suis incapable, je suis une boule d'énergie qui se cogne aux murs en refusant de s'éteindre, refusant d'aller épouser les saisons bien sagement, de fondre le reste de ma lumière dans l'acceptation. Je veux être le lampadaire dans la forêt plutôt qu'un arbre parmi les arbres parmi les arbres.

Jamais mon corps ne se réduira à ce que la nature en a fait, à ce qu'elle lui impose, chaque jour, chaque mois, à sa destruction programmée. Je la hais tellement d'avoir un impact sur moi, de me marquer toujours un peu plus alors qu'elle s'en fiche de le faire. Être une boîte à synapses me dégoûte, être un amas de cellules me dégoûte, être une machine défectueuse prévue pour la casse me révolte. Les mathématiques, la physique, la chimie me révoltent. Le monde est immonde de fiabilité et d'insensibilité.

Je ne serai jamais heureuse parce que j'avais perdu dès la naissance et que j'aurais dû avoir ma chance. Aucun d'entre nous n'a eu sa chance, dès le berceau Gaïa nous écrasait déjà entre ses doigts terreux et nous aurions dû la remercier de ce cadeau ? Va crever, Gaïa.

Rien n'est juste, rien n'est tolérable, c'est trop de vide et de noir et de creux pour trop peu de peaux caressées et de lèvres embrassées.

Puisque tout disparaîtra, rien n'est grave.

Et c'est pour ça que je te hais, Gaïa, pour toi rien n'est grave.

Je n'accepterai jamais que rien ne soit grave.

- T'as conscience que tu te fatigues pour rien, là ?

- Mais putain, ça fait des heures qu'on marche, j'en ai marre, c'est quand qu'on sort de cette saloperie de forêt ?

 

 

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