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Her, de Spike Jonze : "Des corps, des esprits me reviennent..."

14 Avril 2014 , Rédigé par Asoliloque Publié dans #écriture, #critique, #cinéma, #film, #spike jonze, #her, #joaquin phoenix, #scarlett johansson, #science-fiction

Titre : Her

Réalisateur : Spike Jonze

Année : 2013

Casting : Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Rooney Mara, Amy Adamas, Olivia Wilde...

 

Synopsis (allocine) : Los Angeles, dans un futur proche. Theodore Twombly, un homme sensible au caractère complexe, est inconsolable suite à une rupture difficile. Il fait alors l'acquisition d'un programme informatique ultramoderne, capable de s'adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il fait la connaissance de 'Samantha', une voix féminine intelligente, intuitive et étonnamment drôle. Les besoins et les désirs de Samantha grandissent et évoluent, tout comme ceux de Theodore, et peu à peu, ils tombent amoureux…

 

Critique : Ces derniers mois, ces dernières semaines, auréolé de son succès aux Oscars (prix du meilleur scénario), Her a beaucoup fait parler de lui, arrivant à réunir un public disons « populaire » habitué aux comédies romantiques hollywoodiennes et les adeptes d'un cinéma plus intimiste et difficile d'accès. J'ai vu beaucoup de gens adorer, et les gens qui n'aimaient pas apparaissaient tristes de ne pouvoir rejoindre la foule faisant étalage de leur bouleversement à l'issue de la séance. Pour ma part, j'ai suivi le mouvement de très loin (étant depuis quelques temps totalement à la masse concernant le cinéma) puis j'ai été pris d'une sorte de fascination progressive. Alors, l'autre soir, encouragé par une amie qui devait aller le voir au cinéma et une autre qui l'avait déjà récupéré d'une manière plus ou moins officielle sur son ordi, je me suis lancé.

 

Her brasse bon nombre de sujets qui ont été évoqués nombre de fois, que ce soit dans la littérature d'anticipation (générale ou celle consacrée aux robots) ou dans le cinéma de science-fiction (on pensera notamment aux séries Real Humans et Black Mirror). La bonne idée de Her est d'avoir radicalisé son propos en réduisant l'alter ego (auparavant cyborg, ou comme le dirait Nicole Brenez, « corps mécanique ») à un simple programme qui s'exprime par une voix. L'anthropomorphisme ne se joue donc qu'à l'oreille et dans le cerveau, et pourtant la façon dont Samantha (la petite amie virtuelle de Theodore) arrive à intégrer progressivement et presque naturellement le quotidien est une des grandes réussites du film. Theodore investit une sur-présence en elle, en même temps que le monde autour disparaît.

 

En effet, nombre de scènes se déroulent en extérieur, dans des espaces vides, dont les couleurs variées n'arrivent pas à les protéger d'une certaine froideur. Jamais n'entend-on les autres personnes discuter (seules leurs lèvres bougent en réponse à leurs oreillettes) ou interagir entre eux. Et pourtant, tout ce décor disparaît tant on se concentre sur Théodore et ses discussion avec Samantha. Scarlett Johansson livre la plus belle prestation de sa carrière en incarnant une voix qui s'avère bien plus humaine que beaucoup de véritables rôles, mais c'est une voix qui enferme Théodore dans son monde, dans l'expectative, puis l'angoisse. Le/la spectateur/trice, pendu-e à leurs lèvres, ne sachant très bien s'il faut prendre parti, en arrive en tout cas à oublier le véritable univers.

 

Et pourtant, c'est peut-être à ce niveau-là que le film est le plus intéressant. Parce que la relation avec Samantha, elle évolue très très (trop?) vite, on comprend rapidement où elle va mener, même s'il arrive qu'on se fasse prendre de cours par certains de ses tenants et aboutissants. Mais pour ma part, je me suis assez peu focalisé sur cette évolution, mais plutôt sur les rapports de Théodore aux trois femmes réelles qui jalonnent sa vie durant le film : l'ex-femme (Rooney Mara, qui irradie le cadre à chaque seconde où on la voit), l'amante potentielle (Olivia Wilde, dont la présence relativement courte à l'écran de l'empêche pas de tout emporter sur son passage) et l'amie (Amy Adams, merveilleuse de retenue).

 

Ce qui m'a ému le plus n'était donc pas les atermoiements de Joaquin Phoenix (accessoirement génial, alors que cet acteur m'indiffère en temps normal) avec Scarlett Johansson, mais ceux qui se répercutaient avec les autres femmes, ces incapacités à gérer les relations ou les absences de relation. Ces différentes fresques sur la solitude joliment frottées de mélancolie ont le bon ton de ne pas apparaître comme des maux futuristes. La science-fiction n'est jamais meilleure que quand elle nous parle du présent, et c'est dans ces instants troubles, déconnectés, qu'on s'identifie le plus. La relation avec Samantha est à la fois infiniment compliquée et infiniment simple, mais c'est un choix binaire, forcément, informatique, et toute l'imagination du monde ne saurait effacer cet état de fait.

 

On se trouve constamment plongé dans cet entre-deux un peu éthéré (qui pourrait faire penser à une esthétique penchant vers Sofia Coppola), renforcé par la belle B.O d'Arcade Fire, où les gens sont tellement terrorisés par la solitude qu'ils ne supportent plus d'être avec des gens. Les instants précieux, dans les joies comme dans les peines, se révèlent être ceux où l'on parvient à prendre le temps d'être avec quelqu'un, seulement avec lui, et c'est peut-être ce qui nous sépare de la machine, cette incapacité à gérer plusieurs tâches à la fois. Encore faut-il arriver à s'y consacrer. C'est dans ce domaine que Her réussit sa mission, nous ramener à voir les gens qui sont là, à ceux qui pourraient l'être, à pardonner à ceux qui ne le sont plus, et ne pas éternellement poursuivre ceux qui ne le sont pas. Le futur ne rendra pas les gens plus malheureux qu'ils ne le sont, il ne fera que légèrement varier les modalités de leur désespoir et de leurs réconciliations. Qu'importe combien de remèdes virtuels seront trouvés face à la solitude, ils ne remplaceront pas les corps, les mains qui se frôlent dans la nuit, les yeux qui se perdent au creux des nuques, les têtes qui viennent se briser sur des épaules.

 

Her, de Spike Jonze : "Des corps, des esprits me reviennent..."
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